mardi 26 août 2014

Quel défi pour « l’intelligence augmentée » ?

Quel défi pour « l’intelligence augmentée » ?

telecharger-cerveau-humainQuand le téléchargement du cerveau humain devient possible…

Déjà en 2004, dans une interview accordée à la revue américaine Astrobiology, le professeur Ken Ford1 considérait que « l’avenir repose plutôt sur le concept de l’intelligence augmentée (« Amplified intelligence »). Il s’agissait alors d’accroître les capacités du cerveau humain en pluggant en quelque sorte des artefacts et prothèses technologiques afin de pouvoir  se mouvoir dans un environnement  intelligent2
A cette époque, je menais des actions concrètes à l’IMI sur l’ingénierie des connaissances, aux côtés de mes collègues spécialisés en intelligence artificielle de l’Université de Technologie de Compiègne. 
En réalité, j’ai vraiment pris conscience des enjeux  du « transhumanisme » suite à la lecture de « Humanité 2.0 » de Ray Kurzweil en 2007. 
Cette lecture m’a éclairé sur  les innovations de rupture. Il s’agissait d’une tout autre dimension de « l’Intelligence augmentée ». Kurzweil est mondialement connu. Il est « l’auteur de plusieurs ouvrages sur la santé, l’intelligence artificielle, la prospective et la futurologie. Il est l’un des théoriciens du transhumanisme et de la singularité technologique » (…) « En décembre 2012, il annonce qu’il rejoint Google pour travailler sur de nouveaux projets impliquant « l’apprentissage automatisé et le traitement du langage ».
Le célèbre  Machine Intelligence Research Institute, (MIRI3) a réuni des experts de haut niveau qui travaillent sur cette question. Plus récemment, le philosophe suédois Nick Bostrom, connu pour son approche du principe anthropique, vient de publier un best seller « Superintelligence » et il est engagé dans des initiatives stimulantes autour du courant transhumaniste. Toujours dans le même temps,  la prolifération des objets connectés au sein du S.I., la montée de l’intelligence artificielle, la présence plus prononcée des robots et automates, des agents intelligents au cœur de l’internet et des systèmes d’information de demain transforment radicalement  le paysage de l’entreprise numérique et l’architecture du S.I.
Mais, une nouveauté mérite d’être soulignée : le  téléchargement du cerveau humain est devenu possible. C’est un vrai défi ! On n’en est plus au téléchargement de logiciels ou de vidéo. Si les connaissances deviennent téléchargeables directement dans un ordinateur,  quelles sont les questions à se poser ?

Quelles sont les questions qui s’imposent sur « l’Intelligence Augmentée » ?

Les recettes sans questionnement peuvent ne pas suffire. Elles peuvent même parfois être contre-productives. Face à cette nouvelle forme d’Intelligence Augmentée, 5 axes d’un questionnement devraient s’imposer.

Sur le plan stratégique et opérationnel

Quelle posture stratégique faudra-t-il adopter face à cette innovation de rupture ? Quels seront les liens entre les générations au travail et dans la vie privée face au bouleversement de la pensée algorithmique. Gérard Berry dit : « Les inversions mentales, cela veut dire que la façon dont nos enfants pensent est complètement à l’inverse de la façon dont nous pensons » ? Quels seront les nouveaux rapports entre l’entreprise numérique et ses collaborateurs nomades numérisés ? Dans ce cas, quid des risques et des cyber-risques4.

Sur le plan éthique

Les sciences du numérique nous placent devant de nouveaux défis, en particulier celui de la responsabilité, l’unité d’ensemble tout en respectant la diversité et la liberté d’action. Qu’est-ce qu’alors la conscience commune de la performance durable, du progrès et du modernisme face à cette « Intelligence Augmentée » qui frappe aux portes de l’entreprise numérique ? Georges Epinette (Vice-Président du CIGREF) signale que « la rupture civilisationnelle qui est en train de se dessiner, dans ce monde désormais encyclopédique, tout devient-il documenté, tracé, traqué ». 
Quelles sont les postures managériales au quotidien ainsi que les dispositions et les dispositifs d’une nouvelleGouvernance de l’information ?

Sur le plan économique

Allons-nous vers une société à deux vitesses avec d’un côté ceux qui pourront s’approprier cette « intelligence augmentée » et ceux qui ne pourront pas investir et en resteront aux formules actuelles qui seront peu à peu considérées comme des pratiques « anciennes » ?

Sur le plan structurel

En particulier la prise de décision, si la Machine devient de plus en plus « sachante » par auto-apprentissage, quelle sera la place de l’Homme ? Par exemple, un robot a déjà été promu à un poste clé dans l’entreprise. 
Son rôle ? « préserver les intérêts financiers de la société et identifier les investissements les plus judicieux à effectuer ». Quels seront alors les nouveaux rapports entre les décideurs et la DSI5 « banque centrale » de l’information et « moteur de l’innovation » ?

Sur le plan anthropologique

Si trop d’informations circulantes tuent l’information, cette « Superintelligence » que présente Bostrom ne nous rendrait-elle pas fous, puisque pour ne pas l’être, notre cerveau actuel se décharge justement d’une partie de sa mémoire (oubli, déni, évitement, etc.) ? Nicholas Carr s’interroge, dans son dernier ouvrage quant aux impacts de l’internet sur le cerveau humain.
Les innovations qui émergent autour de nous sont-elles alors créatrices ou destructrices de valeur ? Des réponses personnalisées sont à trouver car, comme l’affirme Pascal Buffard, « des systèmes de valeur sont à inventer (…) on observe diverses conséquences sociologiques dont les dirigeants et responsables à tous niveaux (entreprises, collectivités, Etats…) doivent prendre conscience ».

En conclusion, comment réagir avant qu’il ne soit trop tard ?

En ce 25 août 2014 où je conclus cet article, l’enjeu du capitalisme cognitif promouvant la culture numérique est clair : s’appuyer sur « l’homme-produit » pour prendre le contrôle de l’information numérique pour devenir modeleur du monde. 
Nous allons au-delà de l’accroissement du capital fixe. Il s’agit d’un phénomène dynamique. Par exemple, Google a mis 15 ans pour dominer le monde. Son moteur de recherche fondé sur des algorithmes puissants est devenu incontournable. Cette entreprise innovante en sait beaucoup sur nos usages, nos inclinations, nos besoins, nos désirs et nos préférences. La puissance se déplace des détenteurs d’actifs matériels vers les accumulateurs de connaissances. Combien de temps ce géant mettra-t-il pour dominer également nos cerveaux et nos consciences ?
Comment réagir ? Il faut plutôt proagir. Il faut nous tourner vers la « théorie du chaos » car elle nous éclaire sur les attitudes proactives à développer étant donné qu’un battement d’ailes de papillon (c’est-à-dire un signal faible) venant du marché extérieur peut engendrer un ouragan. C’est bien ce qui s’est passé avec le leader Californien des réseaux sociaux nés dans un campus universitaire aux USA ou la vente de livres en ligne qui fait couler tant d’encre en Europe ce moment. L’avenir réussit à celles et ceux qui sont prêts à temps, … et non avant qu’il ne soit trop tard.
G-BalantzianGérard Balantzian
Auteur et consultant
_______________
1 Président de l’Interdisciplinary Study of Human & Machine Cognition (Ihmc) de l’université de Floride.
2 
Qu’est-ce que » l’intelligence » ? Une définition s’impose. Selon le spécialiste, celle-ci est différente. Le biologiste parlera du cerveau humain,  l’économiste de l’intelligence économique,  l’informaticien de l’intelligence artificielle, le psychologue et le sociologue de l‘intelligence émotionnelle, le cogniticien de  l’intelligence collective, etc.
3 Anciennement Singularity Institute for Artificial Intelligence ou SIAI, l’Institut a changé de nom en 2013 pour ne pas être confondu avec la Singularity University.
4 Les Echos, 22 et 23 août 2014 (« l’inquiétante envolée des fraudes bancaires » et le préjudice causé aux entreprises évalué à plus de 250 millions d’euros).
5 Il faut rappeler ici que depuis  au moins 3 décennies, la DSI revendique un rattachement direct à

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire